Afrique sous respirateur artificiel, l'Occident responsable ? 

Bastien Delvech
2 Août 2013



Une récente étude de la Banque mondiale met en exergue des chiffres plutôt encourageants. En trois décennies, le pourcentage d'individus vivant en dessous du seuil d'extrême pauvreté (1,25 dollar par jour) a baissé de façon significative. De plus de moitié, en fait. Des chiffres qui ne valent pas pour l'Afrique subsaharienne...


Crédit Photo -- Guido Cozzi / Atlantide Phototravel / Corbis
Crédit Photo -- Guido Cozzi / Atlantide Phototravel / Corbis
Le pourcentage d'individus vivant en dessous du seuil d'extrême pauvreté, oscillant autour de 50% en 1981, ne devrait pas tarder à passer sous la barre des 20%. Des chiffres qui ne valent pas pour l'Afrique subsaharienne, où le taux de pauvreté extrême est de 48%, et où le nombre de pauvres ne cesse d'augmenter.

Les 20 pays les plus pauvres du monde sont africains. D'Afrique subsaharienne, plus précisément. Différentes explications sont régulièrement avancées pour justifier la dérive sans fin du continent noir. On évoque l'analphabétisme, une certaine instabilité politique, une corruption galopante. Un peu comme si ces symptômes étaient inscrits dans les fibres les plus intimes du continent, greffés à son ADN, inamovibles. Et si l'on prenait le problème à l'envers ? Et si, au lieu que des causes originelles, ces maux étaient les effets d'un mécanisme de broyage d'envergure mondiale ?

Un continent sacrifié

Dans son ouvrage Afrique, pillage à huis clos*, Xavier Harel met à jour les relations secrètes qui unissent certains dirigeants africains cauteleux aux sociétés pétrolières implantées sur place, avec l'aide de hauts fonctionnaires occidentaux. Tout se passe exactement comme on l'imagine : à grand renfort de montages éhontés, l'élite des pays impliqués confisque une énorme part des richesses pétrolières, menant un train de vie extravagant quand l'ensemble de la population compose avec moins d'un dollar par jour. La force du livre vient de la multitude des sources recueillies (extraits d'auditions, témoignages, recoupements...). Combinées les unes aux autres, elles forment un canevas cohérent, et donnent corps à ce qui relevait jusqu'à présent du fantasme.
 
Les pays pétrolifères de la corne de l'Afrique ne sont pas les seuls concernés par les problèmes de corruption. L'Afrique à tous les étages, quelles que soient ses richesses, est gangrénée. Le caractère systématique de ces détournements entraine une paupérisation des populations et favorise l'émergence d'une coterie de puissants dont les intérêts s'articulent autour d'une certaine idée du pillage : plus il est féroce, mieux ça passe. Un saccage auquel prennent part les puissances occidentales. 
 
Parent pauvre de la mondialisation, l'Afrique est victime de sa réputation. La situation y semble à ce point désespérée, que l'idée même de vouloir l'améliorer parait incongrue. Ce fatalisme entraîne une relative inertie de la communauté internationale face au vandalisme économique, vécu, après tout, comme un continuum logique.
 
Différentes initiatives prétendent pourtant court-circuiter ce cercle vicieux. Avec plus ou moins de pertinence. Plus ou moins de succès.
 

Des aides à double tranchant

Exsangue, l'Afrique subsaharienne le restera si le modèle déployé pour lui venir en aide ne change pas d'orientation. Les fonds perfusés dans les ONG auront beau augmenter, rien n'y fera. Nécessaires, les ONG ne peuvent pas tout, et entraînent parfois des effets pervers. En venant concurrencer les surplus agricoles indigènes destinés à la vente, l'aide alimentaire contribue à anéantir le commerce local, et à rendre dépendante la population quand il faudrait l'aider à s'émanciper. 
 
Il y a un peu plus de vingt ans, la microfinance faisait son entrée en Afrique subsaharienne dans ce but. Elle concerne aujourd'hui plus de 205 millions de clients. Problème, elle connaît une crise d'envergure notamment due à des taux d'intérêt excessifs et à des pratiques de recouvrement abusives.
 
Sur le papier, la microfinance contient en germe tous les ingrédients nécessaires à l'éclosion de l'Afrique : elle responsabilise les populations, les pousse à l'entreprenariat et leur assure les moyens de leur subsistance. Pour qu'elle ne constitue pas dans la pratique une passerelle vers le surendettement, comme ça a été le cas en Inde ou au Kosovo, il convient d'en repenser les fondements.
 
C'est ce que s'attellera à faire la plateforme de réflexion Convergences, qui se tiendra du 17 au 19 septembre prochain à Paris, et réunira de nombreux acteurs de l'économie sociale et solidaire. Des tables rondes seront organisées, s'intéressant par exemple à la façon réaliste d'assurer la viabilité économique de ce système, tout en préservant sa mission sociale.
 
Pour peu qu'elle soit régulée, la microfinance va dans le bon sens. Elle tend à édifier l'Afrique en tant qu'acteur économique à part entière, et à rompre la conception binaire que l'on se fait du partage des richesses. Aucun théoricien n'a jamais posé qu'il fallait qu'un continent demeure à l'était de corne d'abondance improductive pour que les autres prospèrent. Au contraire. C'est en faisant de l'Afrique un partenaire en affaires solide, plutôt qu'en pillant ses richesses jusqu'à épuisement, qu'on posera les bases d'une collaboration fructueuse et pérenne.



*Xavier Harel, Afrique, pillage à huis clos: comment une poignée d'initiés siphonne le pétrole africain, Fayard, 2006.

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